L'aménagement de la classe

Ce volet se focalise sur la classe, sur les espaces de travail, sur l’offre éducative, sur les îlots réunissant les pupitres des élèves. Une attention particulière est également portée aux outils de classe tels que les moyens d’enseignement, le plan de travail, l'utilisation du tableau et des affichages.

L’AMÉNAGEMENT DE LA CLASSE ET SES ESPACES

Ce qui frappe tout d’abord, quand on observe l’agencement de ces classes à degrés multiples, c’est l’aménagement spécifique qu’on y trouve : multiples espaces, coins ludiques, pupitres en îlots, mobilier modulaire, ainsi que du matériel diversifié favorisant les interactions entre les élèves d’âges divers. Les espaces sont dédiés à des activités spécifiques d’enseignement-apprentissage et à des activités ludiques qui ont une incidence sur la motivation des élèves. Cet aménagement peut a priori ressembler à n’importe quel autre type de classe, pourtant la différence se situe dans la façon dont les élèves utilisent, en équipe ou en autonomie, les espaces et le matériel accessible et varié de la classe.

Les classes sont aménagées de façon à  répondre aux besoins et aux rythmes d’apprentissage de l’ensemble des élèves, ce qui favorise le travail en autonomie et l’investissement dans les activités. Les classes sont ainsi considérées comme mobiles et flexibles par le simple fait que les lieux d’apprentissage sont divers et variés, afin de répondre à la grande hétérogénéité des élèves et aux types d’activités à mener. Activités qui alternent des phases nécessitant concentration, mouvement, détente, échanges ou confort.

La présence d’îlots de travail dans les classes favorise les interactions entre les élèves d’âges et de niveaux différents, ainsi que le travail de groupe propice à une pédagogie coopérative et différenciée. Les élèves plus jeunes bénéficient de conseils avisés de plus grands. Les analyses issues de notre étude (Pasche Gossin, 2019) montrent que l’aménagement dans ce type de classe a un impact positif sur l’attention et la motivation, ainsi que sur la manière dont les élèves s’investissent dans leur tâche. Les élèves se voient offrir la possibilité de se faire aider par des élèves de niveaux différents, de réaliser des activités multiples dans des espaces et des lieux variés.

La collaboration entre les élèves et leur autonomie se voient renforcées. Les plus grands peuvent apprendre aux plus jeunes, ce qui permet de se réapproprier certaines notions étudiées précédemment. Ainsi le témoignage d’un enseignant corrobore cette hypothèse :

Îlots (Pasche Gossin, 2019)

Là, par exemple, les 6e sont chaque fois seuls sur un îlot avec les plus jeunes, ça permet qu’il y ait évidemment un lien entre les élèves, entre les niveaux. Du coup, les plus jeunes bénéficient de l’aide des grands qui se sentent valorisés. Les grands, ça les fait aussi travailler davantage, parce que ça leur permet de se remémorer d’anciennes connaissances. Ils voient à quel point ils ont progressé. »

Les élèves se déplacent en fonction des activités qu'ils ont à réaliser en alternant travail individuel et travail collaboratif. Ces changements de lieux d’apprentissage sont bénéfiques, tant du point de vue de la motivation, de l’entraide, de la concentration que de l’investissement dans les activités.

Dans ces classes, il est frappant de constater que naît une certaine émulation sociale chez les élèves résultant d’un fort désir d’imiter, voire de vouloir surpasser la figure mimétique, ou un camarade. Les coins de regroupements pour conduire des activités spécifiques et l’organisation des tables en îlots hétérogènes modifient la dynamique et l’engagement des élèves dans les activités.

On aura bien compris que dans une classe à degrés multiples, il n’est pas envisageable d’aligner les pupitres des élèves les uns derrière les autres en face de l’enseignant·e, au risque de contrecarrer le bon fonctionnement de la classe. Ceci est perceptible dans le témoignage d’un enseignant :

Si on les réunit en îlots, si on les met ensemble, c’est pour qu’ils collaborent entre eux, il n’y a aucun sens de les aligner. »

Le maintien d’un aménagement traditionnel (alignement des tables les unes derrière les autres ou en forme de U) ne peut donc tout simplement pas être réalisé dans une classe à degrés multiples.

Notre étude (Pasche Gossin, 2019) rejoint les travaux d’Hoffman (2002) et de Miller (1991), lorsqu’ils déclarent que le fait de privilégier les groupements flexibles et de baser l’aménagement sur les besoins des élèves permet un fonctionnement plus performant. Les tables groupées ou en îlots hétérogènes, mélangeant les niveaux des élèves, sont considérées comme une disposition davantage adaptée pour travailler en groupes et favoriser la coopération, l’interactivité (Chartier, 2005). Une telle configuration de classe aurait donc un effet sur la régulation des apprentissages et permettrait de surmonter un grand nombre de difficultés d’apprentissage du fait que les élèves les plus âgés ou de niveaux de compétences plus élevés, dans une telle configuration, auraient à jouer un rôle d’instructeurs face aux élèves moins habiles.

LES OUTILS DE LA CLASSE

Les outils qui rendent possible la classe à degrés multiples tournent autour des moyens d’enseignement, des affichages, des tableaux, des ordinateurs, des cahiers, des fichiers, des manuels, des coins (jeux, bibliothèque…), du plan de travail. Ces outils constituent des apports pédagogiques efficaces permettant aux élèves de s’investir en toute autonomie et à leur rythme dans les activités scolaires. Quant au corps enseignant, il dispose de temps pour enseigner, pendant un temps donné, à un groupe d’élèves ou à un degré scolaire spécifique. La responsabilité, l’autonomie et la coopération sont au cœur du travail dans la classe à degrés multiples.

Cette façon de « faire classe » et les outils qui lui sont réservés permettent d’individualiser et de personnaliser les apprentissages des élèves. Avant de décrire quelques outils particuliers de la classe à degrés multiples, faisons référence à la distinction conceptuelle de Connac (2012) entre individualiser et personnaliser les apprentissages. Il en propose les définitions suivantes :

Individualiser les apprentissages, c’est prendre en considération une personne de manière particulière, en visant sa réussite scolaire par le biais d’un enseignement non massifié (…). Personnaliser les apprentissages, c’est prendre en considération les caractéristiques de chaque personne en évitant de fonctionner sur le mode de la fragmentation des supports et des savoirs. (Connac, 2012, pp. 16-17)

Autrement dit, l’individualisation des apprentissages s’adresse essentiellement aux élèves rencontrant des difficultés pour atteindre les objectifs d’apprentissages fondamentaux. Elle consiste à encadrer de manière soutenue quelques élèves afin de répondre à leurs besoins éducatifs particuliers. Le travail individualisé est une des trois déclinaisons de l’individualisation des apprentissages consistant à effectuer des tâches spécifiques selon diverses modalités. Il se distingue du travail isolé et du travail individuel, dont la particularité respective est, pour l’un, d’écarter de la classe des élèves à besoins éducatifs particuliers pour leur permettre de travailler avec un·e autre enseignant·e et, pour l’autre, de faire faire sans interactions entre les élèves des tâches adaptées ou similaires.

Quant à la personnalisation des apprentissages, elle favorise le développement de la personne en donnant aux élèves la possibilité de faire des choix quant aux tâches à réaliser (par la médiation du plan de travail) tout en sollicitant l’aide d’un·e camarade ou en offrant la sienne, sans l’étayage permanent de l’enseignant·e. La personnalisation des apprentissages tend à responsabiliser l’élève et, en ce sens, contribue à l’apprentissage de l’autonomie. Selon Connac, la personnalisation des apprentissages se décline selon trois approches :

L’approche didactique, qui présente le savoir sous l’angle de l’expertise disciplinaire et avec une coloration socioconstructiviste, c’est-à-dire basée sur une logique de construction des connaissances par confrontation sociale des représentations (…). Le travail individualisé, où chaque élève effectue des travaux qu’il s’est confiés ou que l’enseignant lui a confiés (…). Les interactions coopératives, qui permettent aux élèves d’effectuer un travail à plusieurs (…) (p. 19).

Dans une classe à degrés multiples, la personnalisation des apprentissages donne ainsi l’occasion aux élèves : de travailler de façon individuelle par la médiation d’un outil tel que le plan de travail; de s’entraider dans des contextes interactifs valorisés; de travailler avec le groupe entier sur un projet commun. Notons au passage que cette façon d’organiser l’enseignement gagne du terrain et pourrait faire des adeptes même dans des classes ordinaires, dans lesquelles la récurrence de la thématique de l’hétérogénéité est une caractéristique de plus en plus réelle.

LES MOYENS D’ENSEIGNEMENT

Les ressources didactiques principales dont les enseignant·e·s font usage pour planifier et organiser les apprentissages dans leur classe respective sont issues des moyens d’enseignement romand, en adéquation avec le Plan d’études romand. Pour certaines disciplines, les enseignant·e·s puisent des idées ou des activités dans d’autres ressources complémentaires. Notre étude (Pasche Gossin, 2019) a montré que ces moyens d’enseignement jouent un rôle central et sont considérés comme des ressources didactiques importantes pour autant qu’ils puissent être utilisés comme un fil rouge au détriment d’une méthode à appliquer mécaniquement. Le personnel enseignant aime composer, adapter, voire créer et innover. Ceci peut se percevoir dans les témoignages suivants :

Ma formation m’a appris à créer. Aujourd’hui avec tous ces moyens d’enseignement, j’ai l’impression que c’est un peu moins le cas. Avant, on était plus enclins à créer nos propres moyens, nos propres approches pour enseigner […]. Pour moi, un moyen d’enseignement est une ressource dans laquelle je vais piocher, je vais piquer une idée que je peux utiliser ou adapter […].

L’idée est de trouver des activités qui vont permettre à chaque élève de développer ses compétences, sa créativité. Donc, c’est carrément voulu de mettre en place des activités avec tous les élèves des trois degrés de la classe. Donc quand on écrit un texte, ça va permettre à un élève passionné par l’écriture d’écrire des longs textes, alors qu’un autre va écrire trois phrases. Ça permet à tout le monde d’avancer à son propre rythme.

Je m’autorise la liberté de mélanger les ressources, j’adapte en fonction des niveaux des élèves et je fais en sorte que chacun puisse prendre jusqu’où il arrive. »

Il semble que ces moyens d’enseignement restent des ressources didactiques pour organiser le travail des élèves, mais avec la marge d’autonomie, de responsabilité et de liberté que cela implique.

LES TABLEAUX ET LES PANNEAUX D’AFFICHAGE

Les tableaux et panneaux d’affichage sont des outils de communication disposant d’une fonction d’ordre administratif ou pédagogique. Dans une classe à degrés multiples, ces outils sont considérés comme des ressources indispensables au bon fonctionnement de la classe et des apprentissages.

D’un point de vue administratif, on y trouve, par exemple, l’horaire de la classe, la liste des élèves et de leurs anniversaires, les responsabilités attribuées aux élèves, des consignes de sécurité, des règles relatives à la discipline scolaire, des règles concernant les coins et espaces ludiques, des annonces de manifestations, etc. Du point de vue pédagogique, on y trouve par exemple des productions d’élèves, des œuvres d’artistes, des listes d’objectifs d’apprentissage, des aide-mémoires concernant, principalement, le français, les mathématiques et l’allemand, des règles d’orthographe et de grammaire, des formules mathématiques, des explications et des consignes sur le travail à réaliser, le déroulement de la journée, etc.

Ces tableaux et panneaux d’affichage sont susceptibles d’informer, d’aider au fonctionnement de la classe, d’aider à l’apprentissage, de permettre la réalisation des tâches, d’orienter et de faire avancer les élèves, d’aider au développement de l’autonomie, de valoriser les productions des élèves.

LE PLAN DE TRAVAIL

Tout d’abord, relevons que le choix de la méthode pédagogique et de la conception de l’enseignement-apprentissage repose sur une relation de confiance enseignant·e – élèves. La confiance réciproque est la clé de voûte de l’organisation de la classe à degrés multiples, elle se situe au cœur de la relation pédagogique. C’est ainsi que les élèves dans ces classes sont amenés, au nom de ce principe, à travailler davantage en autonomie. Ceci s’explique amplement par le fait que l’enseignant·e ne peut pas être continuellement en présence avec l’ensemble des élèves.

La méthode simultanée durant laquelle les élèves font la même chose en même temps, sous le contrôle de l’enseignant·e, ne peut pas se généraliser dans une classe à degrés multiples. Fortement présente et utilisée dans une classe ordinaire à un seul degré, cette méthode n’a que peu de place dans une classe à degrés multiples, le risque étant de pénaliser les élèves dans  la progression des apprentissages. Les activités sont donc différenciées ou personnalisées, voire adaptées en fonction des degrés, ou des niveaux.

En ce sens, le plan de travail, fréquemment utilisé dans des formes variables, permet de maximiser le temps de travail tout en faisant progresser les élèves à leur rythme et en toute autonomie. Ce sont ces arguments qu’invoque cet enseignant :

Je pense que les élèves travaillent de manière plus autonome au travers du plan de travail qui suscite un réel engouement de la part des élèves. Ce qui les motive, c’est le fait qu’ils aient cette liberté de faire telle chose à tel moment et de choisir les tâches qu’ils vont réaliser. »

Ainsi, lorsqu’une tâche est terminée, les élèves adoptent diverses stratégies telles que faire appel à l’enseignant·e, faire appel à un élève plus grand ou plus compétent, choisir d’autres activités prévues au programme ou dans leur plan de travail. Les temps d’attente sont ainsi limités en faveur d’un engagement dans les apprentissages. Il est constaté une incitation et une stimulation au travail. Cette émulation sociale est sans doute favorisée par la grande hétérogénéité des élèves.