L'organisation de l'enseignement
Ce volet s’intéresse à l’organisation de l’enseignement dans une classe à degrés multiples, laquelle se réfère à un principe général : on mène une leçon avec l’un des groupes tandis que les autres travaillent de manière autonome. Néanmoins, les différents temps de travail seront décrits : temps collectifs, temps de travail en ateliers, temps de travail individuel, temps de travail en groupes, temps du coenseignement.
MODE DE REGROUPEMENT DES ÉLÈVES
Les classes à degrés multiples ont souvent suscité de vifs débats dans les milieux éducatifs à l’échelle internationale. Structure scolaire familière dans des espaces ruraux et des régions de montagne, ces classes sont souvent jugées compliquées, voire d’un autre temps et, au contraire, bénéfiques et innovantes d’un point de vue pédagogique pour d’aucuns. Néanmoins, cette organisation scolaire à degrés multiples, regroupant des élèves d’âges très divers, a laissé place petit à petit à des regroupements d’élèves à un seul degré, voire à deux degrés d’étude, selon le modèle privilégié des zones urbaines, devenu aujourd’hui une norme de référence. L’étude de Jouan (2015) montre à quel point la classe à un seul degré ou à double degré est une configuration inscrite dans un « idéal pédagogique de la classe homogène » (p. 171). On ne s’étonnera pas que l’attachement à cette forme de regroupement des élèves dans un seul niveau soit lié, selon cette auteure, à « une certaine conception de l’enseignement simultané impliquant à la fois un minimum d’homogénéité dans les classes et une place centrale pour le maître » (p. 172).
Quand et comment l’organisation de la forme scolaire qui regroupe les élèves d’une même tranche d’âge dans une seule classe, ou un seul niveau, est-elle apparue? En fait, ce mode de regroupement des élèves par niveau d’étude unique est apparu au cours du XIXe siècle en Allemagne, puis aux États- Unis et ailleurs pour constituer, après la révolution industrielle et l’urbanisation concomitante, une norme largement acceptée (Gayfer, 1991 ; Goodlad & Anderson, 1987 ; Kasten & Clark, 1993). Cette volonté de regrouper les élèves serait donc issue du modèle industriel à l’intérieur duquel, à l’image de la chaîne de production, un maximum d’enfants seraient scolarisés à moindres coûts. Dès lors, devant l’augmentation importante du nombre d’élèves fréquentant l’école, un tel mode de regroupement facilitait la tâche des administrateurs scolaires (Fradette & Lataille-Démoré, 2003, p. 592). Les apports historiques sont formels et font même état d’une certaine forme « d’hostilité à l’égard de l’hétérogénéité », selon Jouan (2015, p. 174).
À ce jour, pourtant, la classe à un seul degré, voire à double degré, héritée du XIXe siècle, n’est pas plus performante que la classe à degrés multiples, dans la mise en œuvre de cycles d’apprentissage, aussi bien que dans le respect des impératifs liés à une école basée sur le principe de l’inclusion. Aussi la classe à degrés multiples, en faisant fi de certaines idéologies ou représentations du passé, pourrait-elle se présenter comme une réponse à ces grands enjeux de l’école d’aujourd’hui et de demain.
LES FORMES D’ORGANISATION DE L’ENSEIGNEMENT
Dans la mesure où le suivi des élèves est personnalisé et la pédagogie différenciée en raison de la pluralité des programmes d’études, les formes d’organisation de l’enseignement varient au sein de la classe à degrés multiples. Quatre formes d’organisation de l’enseignement sont constatables :
« Faire classe » à l’ensemble des élèves
A priori, en raison de la diversité des élèves, cette forme d’organisation de l’enseignement n’est pas la plus optimale, mais elle favorise toutefois les interactions entre des élèves d’âges et de niveaux différents. Cette organisation de l’enseignement nécessite une réflexion approfondie de la part du personnel enseignant quant au type d’activités à réaliser pour que l’ensemble des élèves en retire une réelle plus-value sur le plan des apprentissages. Il est constaté que cette modalité organisationnelle se réalise généralement lors d’une période d’enseignement relativement courte, entre 10 et 45 minutes, et cela, plusieurs fois par jour : ce qui permet ensuite d’ouvrir sur des tâches spécifiques par niveaux ou par degrés.
Répartition des élèves en deux groupes
Cette organisation consiste à isoler des élèves de la classe, en principe par degrés, mais parfois par profils ou par niveaux, pour travailler avec l’enseignant·e pendant que les autres élèves s’activent à des tâches en toute autonomie. Aussi, de surcroît, cette façon d’organiser l’enseignement permet-elle aux élèves de développer des habiletés en matière de travail en autonomie et en groupes.
Travail en autonomie
Ce troisième type d’organisation consiste à laisser tous les élèves travailler en autonomie, et/ou en sous-groupes, dans des domaines d’apprentissage variés, sous l’égide de l’enseignant·e qui circule d’un élève à l’autre ou d’un groupe/atelier à l’autre. Cette organisation demande, en amont, un travail important de la part de l’enseignant·e au niveau de la planification, de l’organisation du travail et de la différenciation – en vue de gérer l’hétérogénéité des élèves de la classe. La mise en place de travaux de groupes hétérogènes, sous forme de tutorat, permet d’alléger le travail de l’enseignant·e et de responsabiliser certains élèves.
Coenseignement
Deux enseignant·e·s interviennent en même temps durant quelques périodes d’enseignement. Deux formes de coenseignement sont envisagées :
- L’enseignement parallèle
Les duettistes se répartissent les élèves des degrés scolaires. Cette forme d’organisation de l’enseignement est confortable, mais elle ne permet pas de profiter pleinement de la grande hétérogénéité des élèves et des effets que celle-ci procure en termes de valorisation tant pour les élèves que pour les enseignant·e·s. Le témoignage d’un enseignant appuie cette idée :
J’évite de cloisonner par degré, sauf s’il y a besoin particulier […]. Je pense que je fonctionnerai de la même manière avec un seul degré.
Je maintiendrai un équilibre entre se déplacer, se regrouper, être à sa place, se mettre par petits groupes, travailler en autonomie. »
- L’enseignement en tandem
Les duettistes travaillent conjointement avec l’ensemble des élèves. L’enseignement en tandem favorise les échanges entre les duettistes, il nécessite toutefois une bonne entente et un respect mutuel.
La combinaison de ces quatre formes d’organisation d’enseignement s’avère conciliable avec la mise en place de la classe à degrés multiples, car chacune d’elle permet d’offrir aux élèves un panel plus large de sollicitations en vue de développer des apprentissages.
LES RYTHMES ET LA PROGRESSION DES APPRENTISSAGES
Le fait de suivre un même groupe d’élèves, durant plusieurs années consécutives et dans une même structure, laisse présager d’un meilleur suivi de la progression des apprentissages.
Plusieurs témoignages d’enseignant·e·s attestent de ce fait, et ce, selon trois dispositions ou tendances :
La propension à davantage de stimulation et un encouragement à apprendre.
En ce qui concerne le vocabulaire, les élèves de 1-2H progressent davantage car ils bénéficient de ce large éventail d’albums ou de CD qu’on écoute en français. Je pense que la présence des 3H stimule l’envie d’apprendre à lire et à écrire chez les plus jeunes. »
Une entrée plus rapide dans les apprentissages.
Chaque élève travaille à son rythme, mais j’ai remarqué que les 2H jouent un peu moins que les autres années. Ils se sont engagés plus vite dans les apprentissages. Les 1H depuis ces deux derniers mois s’inscrivent pour aller faire des jeux de maths, de français ou faire une fiche. Je vois qu’ils sont prêts à passer à autre chose. »
Un respect des rythmes de travail de chaque élève.
Les élèves prennent directement goût d’aller le plus loin possible. Je pense que c’est stimulant pour l’élève qui veut avancer et rassurant pour l’élève qui met plus de temps à apprendre. Chaque enfant trouve clairement sa place dans ce type de classe. On connaît nos élèves et la chance qu’on a, c’est qu’on découvre seulement un tiers des élèves chaque année. On ne démarre pas chaque année avec 20 nouveaux élèves dont on ne sait pas où ils en sont. »
L’enseignement s’adapte au rythme d’apprentissage et au parcours scolaire de chaque élève, à ses forces, ses faiblesses et ses compétences. Les élèves les plus lents sont accompagnés, aidés, stimulés sur un temps relativement long, alors que les élèves rapides ont la possibilité de réaliser des activités plus complexes afin d’éviter l’inactivité en classe, voire une forme d’ennui. Autrement dit, les élèves ne sont pas emprisonnés dans un degré scolaire en permanence, ce qui rend possible une progression souple des apprentissages, sans rupture au terme d’une année scolaire. En ce sens, la classe à degrés multiples semble compatible avec l’organisation par cycles d’apprentissage ordonnée par le Plan d’études romand (PER). Notons enfin que les élèves du dernier degré frayent un passage aux élèves plus jeunes en les mettant en présence de notions qu'ils devront acquérir ultérieurement. Cet environnement d’apprentissage est motivant et stimulant. Il a l’avantage de réduire les phénomènes de redoublement, ou de saut de classe.
L’OPTIMISATION DU TEMPS SCOLAIRE
Selon Suchaut (2010), le temps est l’ingrédient incontournable de toute phase d’apprentissage. Dans une classe à degrés multiples, on observe peu d’élèves astreints à l’attente et davantage de temps disponible pour les élèves qui désirent s’engager dans les activités. Ce type de classe à grande hétérogénéité serait donc bénéfique en ce qui concerne l’optimisation du temps scolaire. Ce constat rejoint les résultats des travaux de Leroy-Audoin & Mingat (1996) : l’emploi du temps est priorisé dans une classe à degrés multiples, ce qui permet aux élèves, les plus avancés comme les plus lents, d'aller à leur rythme, sans être pressés au cours de l’année scolaire. Les classes à degrés multiples se rapprochent, en ce sens, de la logique du cycle d’apprentissage, à savoir qu’il faut quatre années scolaires consécutives pour atteindre ou dépasser les attentes fondamentales.
Nous pouvons supposer que le personnel enseignant est également moins mis sous pression lorsque les élèves restent dans la même structure de classe pour trois années consécutives au minimum. Le temps aide à mieux connaître les forces et les faiblesses des élèves et apporte nombre d’aides nécessaires à la régulation des apprentissages.