Les effets sur la communauté apprenante
Dès le plus jeune âge, les élèves de ces classes développent non seulement leur autonomie, mais également leur sens de l’entraide, de la responsabilité. Un regard particulier est posé sur la façon de mutualiser les potentiels des élèves, comme l’aide des plus grands vers les plus petits, l’évaluation en binôme ou encore les essais de tutorat.
LA COOPÉRATION ENTRE ÉLÈVES
L’enseignement dans une classe à degrés multiples présente un avantage coopératif entre les élèves. En effet, dans ces classes, le personnel enseignant laisse les élèves apprendre en coopérant. Pour ce faire, l’enseignant·e organise sa classe, tout en proposant aux élèves des situations d’enseignement et des supports d’activités qui leur permettent, soit d’effectuer un travail à plusieurs (travail de groupe ou en ateliers), soit d’apporter leur aide ou leur soutien lors du travail sur plan.
Du fait que l’enseignant·e est parfois occupé·e à expliquer une notion à un degré, les élèves font preuve de débrouillardise tout en développant diverses stratégies pour avancer dans leur travail lorsqu’une difficulté surgit. Les stratégies les plus courantes sont la persévérance face à la tâche, la recherche autonome de ressources pédagogiques, la demande d’aide de la part d’un élève plus âgé ou l’entraide avec un camarade du même degré. L’adulte n’est plus le seul appui en vue d’obtenir rapidement de l’aide ou pour dépasser de petits obstacles d’apprentissage. Ainsi, les élèves apprennent à travailler sans la présence de l’enseignant·e, plutôt que de dépendre de son soutien. La coopération devient une condition indispensable au bon fonctionnement d’une classe à degrés multiples. Elle est une chance pour les élèves eu égard aux apprentissages, mais aussi pour l’enseignant·e, à disposition dès lors d’une partie des élèves de la classe.
LES AIDES SPONTANÉES OU TUTORING PAR LES PAIRS
Ces aides se manifestent dans un cadre informel, en fonction des difficultés soulevées par la tâche à réaliser. Les élèves plus âgés apportent spontanément leur aide à celles et ceux qui en manifestent le besoin. Ces soutiens ou demandes de soutien sont bien accueillis en raison de l’idée qu’un jour ou l’autre chaque élève se trouve en situation de novice ou d’expert dans l’acquisition de connaissances et de compétences.
Le témoignage d’un enseignant souligne bien les retombées positives de cette forme de coopération sur la classe en termes de formation d’esprit communautaire et sur le corps enseignant.
Ce qui est beau, c’est quand il y a ce mélange entre les 4-5-6. Les grands se sentent responsables, alors que les petits écoutent les grands, ils font avec les grands qui gèrent l’équipe, tout ça forme quelque chose de beau à voir. »
LE TUTORAT ORGANISÉ
Cette forme de coopération apparaît lorsque l’enseignant·e confie des responsabilités à des élèves ou à un degré scolaire en particulier (« aider à écrire un texte », « suivre la lecture d’un camarade », « corriger l’exercice de mathématiques », etc.). Le tutorat s’appuie sur une organisation précise : la définition des objectifs ou des buts et la reconnaissance des compétences des élèves ou d’un degré scolaire. Le témoignage ci-dessous d’un enseignant relève ce caractère organisé, finalisé et institu- tionnel du tutorat.
J’avais demandé aux 6H d’apprendre en allemand quelque chose aux 5H. Ils ont appris tout le thème qui touchait « au magasin ». Les 6H consolidaient et renforçaient leurs apprentissages et les 5H étaient motivés d’apprendre avec leurs copains. Pendant ce temps, je travaillais avec les 4H. »
L’ENTRAIDE
L’entraide apparaît de façon informelle. C’est une forme de soutiens mutuels qui caractérise la classe à degrés multiples. Ce sont toutes les situations durant lesquelles des élèves s’entraident au vestiaire, dans la cour d’école ou en classe lors de la réalisation d’un projet, d’un jeu, ou lors d’un journal de classe. Le témoignage d’une enseignante va dans ce sens.
Un mot qui me vient comme ça à l’esprit pour caractériser ces classes est l’entraide. Bien sûr, c’est quelque chose que l’on retrouve dans une classe ordinaire, mais là, je trouve qu’elle est amplifiée. Tu as un petit qui a la veste qui est coincée par exemple, tu as le grand qui vient spontanément et puis tu vois, ça se fait comme dans une famille avec des grands et des petits. »
LES EFFETS DE L’APPROCHE COOPÉRATIVE DANS LES APPRENTISSAGES
Les élèves vont donc solliciter l’aide d’un·e camarade ou apporter la leur dans un cadre organisé ou non organisé. Ces interactions entre les élèves sont diverses et bénéfiques, car elles sont au cœur même des apprentissages. Dans ces classes à degrés multiples, il est intéressant d’observer la façon dont les élèves sont amenés à formuler des explications sans pour autant donner la solution.
Cette aide a des conséquences positives sur leur propre développement, car les plus grands ou les plus compétents apprennent aux plus petits tout en se réappropriant certaines notions étudiées précédemment. Le fait de réactiver des connaissances ne peut qu’être bénéfique pour celle ou celui qui est placé·e dans la situation d’expliquer, comme de réguler l’apprentissage ou d’aider à surmonter une difficulté. Mais dans un même temps, celle ou celui qui bénéficie de cette aide va devoir, en amont, se donner les moyens de formuler sa demande à un tiers. Dans ce cas, l’élève sollicitant du soutien va, d’une part, devoir identifier une difficulté – ce qui n’est pas simple – et, d’autre part, verbaliser cette difficulté auprès d’un·e plus expert·e. L’ensemble de la démarche favorise la responsabilisation dans les apprentissages. Autrement dit, les élèves apprennent à se responsabiliser tout en réalisant des tâches d’apprentissage authentiques qui ne sont pas uniquement des tâches occupationnelles ou répétitives.
Plusieurs effets positifs et conséquences bénéfiques de l’approche coopérative peuvent être mis en évidence, notamment :
- l’obtention rapide de l’aide,
- la création de liens d’amitié,
- le fait de devenir solidaire,
- la sensation d’être valorisé·e,
- la limitation des temps d’attente si l’enseignant·e est occupé·e,
- la réactivation des connaissances,
- le sentiment d’être soutenu·e lors de difficultés,
- le développement de l’autonomie,
- l’engagement dans les tâches,
- l’accroissement de l’intérêt pour une activité.
IMPACT DE LA COOPÉRATION SUR LA CLASSE
Relevons que sur le plan du contrôle social et de la gestion des comportements, une bonne partie des problèmes trouve une solution au sein de la relation entre élèves. Ainsi, il est constaté que l’accueil des nouveaux élèves à la rentrée scolaire se passe sereinement pour l’enseignant·e en raison de l’aide apportée par celles et ceux qui réalisent leur deuxième, voire leur troisième année scolaire dans la classe. De ce fait, la socialisation au métier d’élève (construction des règles et des normes, participation au fonctionnement de la classe, appropriation de savoirs, etc.) se réalise harmonieusement. Les commentaires de quelques enseignant·e·s témoignent de ces faits.
Tu n’as plus besoin de dire ou d’expliquer. Tout se fait naturellement en fait. Si un élève n’arrive pas, il se fait aider. Si un élève fait quelque chose qui ne fonctionne pas, hop, il y a un autre élève qui va lui dire.
C’est quelque chose que je n’aimerais plus abandonner maintenant parce que c’est une grande richesse d’avoir des plus grands qui gèrent les apprentissages des plus petits.
Beaucoup de grands aident les plus petits spontanément, ils en prennent soin et c’est très positif pour tout le monde. »
La coopération sert à la fois la personne tutrice et celle qui la sollicite. Les résultats de notre étude (Pasche Gossin, 2019) montrent que les élèves qui viennent en aide aux autres ne perdent pas leur temps, bien au contraire, ces élèves vont mobiliser leurs connaissances antérieures, les verbaliser et les transférer avec habileté, c’est-à-dire sans faire ou dire à la place de l’autre. Autant de bénéfices pour apprendre durablement.
Autrement dit, faire appel à un camarade pour obtenir de l’aide est une démarche bénéfique en raison des liens de camaraderie que cela engendre. Malgré ce qui vient d’être dit, cela semble aussi être favorable à l’intérêt, à la motivation et à la volonté de s’engager dans les activités. Cet apprentissage coopératif (Lataille-Demoré & al., 2008) se voit clairement identifié, il est mis en évidence par le personnel enseignant lorsqu’il discute de l’organisation de l’enseignement.
Même si plusieurs formes d’organisation de l’enseignement sont convoquées, il est constaté que la formation du groupe à grande hétérogénéité prend tout son sens pour favoriser cet apprentissage coopératif. Comme le soulignent Couture et al. (2011), dans ces classes, l’enseignant·e n’est plus la seule ressource humaine pour gérer les apprentissages, les forces de chacun·e sont mises en exergue.
L’AIDE AUX ÉLÈVES EN DIFFICULTÉ
Dans la classe à degrés multiples, les dispositifs d’aide, d’entraide et de tutorat facilités par le multiâge sont favorables aux élèves en difficulté.
La coopération c’est vraiment tout le temps. Même quand ils ont un travail individuel, s’il y a un élève qui a vraiment de la peine, il va essayer de demander de l’aide et ils vont toujours essayer de s’épauler. »
Le lien entre classe à degrés multiples et inclusion scolaire ne peut être ignoré. Nous supposons que l’organisation de cette forme scolaire permet d’agir sur l’individualité des élèves et donc de réduire les inégalités (moins d’étiquetage et d’effet stigmatisant). Quand on dispose d’une classe hétérogène et que l’on pense à un idéal d’homogénéité, le réflexe pourrait être celui de repérer les élèves qui ne suivent pas, et de les écarter du groupe.
Or dans ces classes à degrés multiples, les élèves sont inclus dans la classe et les difficultés scolaires ne deviennent pas source d’exclusion sociale et/ou scolaire. Les compensations dont bénéficient les élèves à besoins éducatifs particuliers (dépannage, soutien, étayage) sont intégrées dans le fonctionnement même des classes à degrés multiples. Si l’enseignant·e a un rôle important à jouer dans le suivi des élèves, ces derniers sont également à même d’apporter du soutien. La diversité des profils est à considérer, dans la classe à degrés multiples, comme un élément facilitant le soutien et l’aide aux élèves en difficulté.