Le travail en équipe

Ce volet s’intéresse aux coopérations entre le corps enseignant, à l’identité professionnelle du corps enseignant des CDM, aux échanges de services, ainsi qu'au rôle que devraient occuper les formations auprès de la population estudiantine quant à la gestion des classes à plusieurs degrés et plusieurs niveaux.

LE TRAVAIL EN ÉQUIPE PÉDAGOGIQUE

Afin de satisfaire aux exigences et à la complexité de l’école d’aujourd’hui, le travail en équipe pédagogique demeure une nécessité pour l’ensemble du personnel enseignant. Il contribue non seulement à l’amélioration d’un esprit d’équipe favorable au développement professionnel, mais il renforce également la motivation professionnelle.

Dans le cas des classes à degrés multiples, cette organisation des relations entre enseignant·e·s de l’établissement, ou entre enseignant·e·s d’écoles différentes ayant des groupes similaires, contribue à combler un réel besoin de soutien et d’accompagnement. Ceci rejoint les travaux conclusifs de Couture et al. (2013) lorsqu’ils insistent sur « l’importance de la collaboration entre des enseignants vivant des réalités comparables afin de trouver des solutions à leurs problèmes » (p. 130). Quant aux travaux d’Allaire et al. (2009), ceux-ci insistent sur le besoin de « briser l’isolement professionnel ». La collaboration avec des enseignant·e·s d’autres écoles amène un bénéfice au plan du développement professionnel.

L’enseignement qui se déroule dans une classe à degrés multiples s’avère différent de celui d'une classe à un seul degré, d’où l’importance de pouvoir bénéficier de l’aide de collègues plus familiarisés et expérimentés susceptibles de répondre aux questions qui surviennent tant sur le plan de l’organisation, de la planification de l’enseignement que de l’utilisation du matériel didactique. Ces moments de partage et de réflexion orientent les pratiques, les améliorent, les valident, voire les transforment. C’est précisément en ces termes que s’exprime cette enseignante.

On a beaucoup d’interactions, on s’entend bien et on n’hésite pas à demander de l’aide, des conseils à nos collègues. Grâce au coenseignement, on se voit deux fois dans la semaine. On échange énormément sur ce qu’on est en train de vivre, c’est très positif. »

Le coenseignement fait davantage penser à du travail de coordination où chacun·e apporte son expérience quant à l’aide et au soutien à apporter aux élèves. Basé sur le respect mutuel, ce type de partenariat permet de partager des idées, d’innover, d’aider des élèves en difficulté, de construire et d’apporter ensemble des solutions aux problèmes rencontrés.

LA MOTIVATION AU TRAVAIL

Le personnel enseignant qui œuvre dans ces classes multidegrés dit apprécier les bénéfices qu’il en retire. En plus d’être favorable aux élèves, l’enseignement est avantageux pour les enseignant·e·s. L’ensemble des témoignages va dans ce  sens.

Sans hésitation, je suis très satisfaite. Je ne changerais pour rien au monde.

Très largement satisfait, ça c’est clair ! Avant de commencer, j’avais un peu des craintes et puis là c’est le pur bonheur. Ça change la dynamique de la classe, la façon de travailler. Au niveau humain, c’est précieux.

Je dirais que j’y crois plus que jamais au multidegrés.

Travailler dans ces classes, ça demande une ouverture, c’est un choix. »

Le bon fonctionnement des classes à degrés multiples dépend de la motivation, de l’intérêt, également de l’engagement du personnel enseignant. Ceci nous amène à considérer qu’il s'avérerait sans doute difficile d’imposer cette configuration de classe à des enseignant·e·s réticent·e·s à ce paradigme pédagogique.

Le fait de travailler dans une classe à degrés multiples contraint en effet le personnel enseignant à modifier ses pratiques professionnelles. Si ce changement est imposé de l’extérieur, sans que le personnel enseignant se sente concerné et motivé, alors le risque est grand d’aboutir à un affaiblissement  du sentiment d’appartenance professionnelle, voire au renoncement face au devoir de trouver de nouvelles modalités de travail dans le contexte spécifique de la classe.

Le grand défi, dans une classe à degrés multiples, est de miser sur la diversité des profils, sur une organisation de la différenciation pour faire face à l’hétérogénéité, ainsi que sur une structuration différente du travail de planification, d’enseignement et d’évaluation.

LA CHARGE DE TRAVAIL

La charge de travail en matière de planification, de préparation et d’organisation est importante en début d’année scolaire, mais elle ne semble pas avoir un impact négatif sur l’engagement et la motivation du personnel enseignant. Le témoignage d’un enseignant reconnaît certaines vertus à l’organisation d’une classe à degrés multiples :

Le travail de planification et de préparation n’est pas plus long que dans un seul degré. À part la première année, mais je pense que c’est pareil pour tous les enseignants. La première année, c’est beaucoup de travail parce ce que tu dois te mettre d’un seul coup trois programmes dans la tête. Il faut connaître, maîtriser, comprendre, se familiariser avec les élèves de la classe, enfin il  y a différents éléments, mais après, le travail n’est pas plus conséquent que dans une autre classe à un seul degré. […]. C’est clair que si tu scindes toute ta planification en trois classes, alors tu n’as plus une classe, mais trois et là, ça devient compliqué. Tu as des enseignants à « documents » et chaque document pour chaque degré. Eh bien si tu fonctionnes comme ça, alors tu t’épuises et ça ne marche pas, tout simplement parce que les élèves ne sont pas autonomes […]. Le plan de travail prend du temps parce qu’on en fait trois, mais il y a tellement de leçons qui me prennent peu de temps que je dirais, au contraire, qu’il y a des gains de temps incroyables. »

La charge de travail dans une classe à degrés multiples dépend des intentions que le personnel enseignant poursuit, de sa conception pédagogique, de ses moyens et des types de regroupement d’élèves. Ce qui compte, c’est de rompre avec le cloisonnement continu des élèves par année scolaire et d’éviter le morcellement des apprentissages. La classe à degrés multiples va au-delà d’un simple changement de structure. Ce sont les pratiques professionnelles qu’il s’agit de changer. La logique est donc proche de celle des cycles d’apprentissage préconisés par le Plan d’études romand contenant des objectifs d’apprentissage et des attentes fondamentales à atteindre au plus tard à la fin d’un cycle de quatre ans.

LE RÔLE DES FORMATIONS

C’est donc avec le rôle de la formation, qu’elle soit initiale ou continue, que nous concluons ce dernier chapitre. La classe à degrés multiples fait partie du paysage des systèmes scolaires cantonaux. De ce fait, les instituts de formation, dont notamment les Hautes écoles pédagogiques (HEP), devraient s’efforcer de prendre en compte, dans les actions de recherche et de formation, la réalité de ces classes et des pratiques professionnelles leur correspondant – tout en prenant en compte la diversité des profils d’élèves et la pluralité des contextes de classe.

Concevoir l’enseignement selon la notion de cycle d’apprentissage figure une réalité à prendre en compte au sein des formations initiales et continues. Ainsi les HEP ont une responsabilité face à la population estudiantine qui sera confrontée, lors de la mise en place des cycles d’apprentissage, à la question de l’hétérogénéité des élèves, des modes d’enseignement et du travail en équipe.

Pour préparer la population estudiantine au métier, la formation initiale pourra intégrer un temps de réflexion pour favoriser des prises de conscience par rapport à la classe à degrés multiples, soit au travers de stages en pratique professionnelle, de cours spécifiques ou de travaux de recherche (mémoire professionnel, ateliers recherche, etc.). Le fait de vivre soi-même une expérience professionnelle dans une classe à degrés multiples permet d’envisager concrètement d’autres possibles en termes de fonctionnement et de diversification des modalités d’apprentissage. La formation continue pourrait avoir également un rôle à jouer afin de favoriser le développement professionnel des enseignant·e·s confronté·e·s à des réalités différant des structures de classes ordinaires. La problématique des différentes formes d’organisation de l’enseignement-apprentissage-évaluation constitue un sujet central de la recherche en éducation, qui devrait le rester à l’avenir.