L'école et son environnement
Ce volet évoque les bâtiments scolaires et les aires de loisirs conçus pour les élèves, la nature environnante et les diverses façons de l’utiliser dans le cadre de l’enseignement. L’atmosphère est encourageante dans les écoles multidegrés, comme la coopération naturelle du corps enseignant avec les parents et la population, de même que l'aménagement du territoire et le contexte politique.
L’ORGANISATION DE LA FORME SCOLAIRE ET SES MODES DE REGROUPEMENT
Les articles 19 et 62 de la Constitution fédérale en Suisse garantissent que les 26 cantons pourvoient à un enseignement de base suffisant à l’ensemble des enfants et gratuit dans les écoles publiques. Les cantons sont responsables de l’organisation et de la surveillance de l’école obligatoire. Les communes, quant à elles, organisent le fonctionnement des écoles au quotidien. La scolarité obligatoire en Suisse commence à quatre ans et dure onze ans. Elle se divise en degrés primaire et secondaire. Le degré primaire compte huit années, alors que le degré secondaire I s’étend sur trois ans. Selon la Conférence suisse des directrices et directeurs cantonaux de l’instruction publique (CDIP), 95 % des élèves fréquentent l’école publique, alors que seulement 5 % sont inscrits dans une école privée. Le système éducatif suisse se distingue notamment par sa fonction d’intégration, qui est primordiale puisque les élèves qui la fréquentent sont issus de milieux sociaux et culturels différents.
La question est de savoir ce que l’on définit comme forme d’organisation des classes. Durant le degré primaire, les élèves peuvent être répartis dans des classes à un seul degré, à double degré ou, dans certains cas, dans des classes à degrés multiples, à savoir une classe regroupant des élèves de trois degrés scolaires consécutifs ou plus. Au degré secondaire, les élèves sont répartis dans des cours à niveaux pour certaines matières enseignées, voire dans des classes communes avec des cours à niveaux.
Il convient aussi de préciser que des regroupements d’écoles en cercles scolaires ont pris forme dans la plupart des cantons suisses. S’il faut agir ainsi, c’est, selon les arguments, afin de faciliter la mise en réseau des ressources, de viser à une efficience du coût de la scolarité, de répondre au modèle d’urbanisation de la classe à un seul degré ou à double degré, voire de rompre l’isolement des petites écoles primaires.
Ces regroupements sont de deux ordres :
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Des regroupements par degré ou par cycle: dans ce cas, chaque village conserve son école, mais les élèves circulent d’un village à l’autre au cours de leur scolarité primaire selon le degré ou le cycle scolaire.
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Des regroupements qui concentrent les élèves de plusieurs communes dans une seule école: dans ce cas, une commune accueille l’ensemble des enfants en âge de scolarisation. Les regroupements se font en principe par degré ou double degré.
Notons cependant que dans les deux cas, ces regroupements se heurtent parfois à des difficultés : opposition des communes; protestation des parents d’élèves; classes fermées, voire écoles menacées de fermeture; coût de l’équipement de chaque école ; mise en place de systèmes de transports pénibles pour les usagers et coûteux pour les communes.
QUELQUES DÉFINITIONS
Les formulations pour désigner ce type de classe multiâge varient d’un pays à l’autre. Au Canada, les classes à niveaux multiples (terme d’usage) se définissent comme des classes qui regroupent des élèves provenant de deux niveaux ou plus. En France, le terme « classe multiâge » considère une classe de deux niveaux ou plus. Selon Jouan (2015), le terme le plus rigoureux est la « classe à plusieurs cours » ou « classes à cours multiples » en raison du fait que l’on peut, dans toutes les classes, avoir autant de niveaux que d’élèves ou des élèves d’âges différents si l’on pense aux élèves redoublant ou ayant sauté une ou plusieurs classes.
Dans le cas du degré primaire en Suisse, la « classe à degrés multiples » est un regroupement d’élèves d’âges différents, de trois degrés scolaires consécutifs ou plus, qui vont devoir cohabiter et travailler ensemble, dans des conditions de lieu et d’horaire plus ou moins similaires, sous l’autorité d’un·e enseignant·e, tenu·e d’enseigner toutes les disciplines prescrites par le Plan d’études romand (PER).
ÉCOLE ET TERRITOIRE
Les classes d’école ne se forment pas de la même façon, selon l’organisation des territoires (administratif, politique, démographique) et selon le type de territoire (montagne, rural, rural isolé, urbain…) où se trouve l’école. Les travaux de Miletto (2018) ont permis de poser les principaux enjeux des inégalités territoriales et de l’école en France. Selon cet auteur, chaque territoire n’est pas équipé de la même manière en termes d’infrastructures, de moyens et de services. Ces différences d’équipement sont parfois difficiles à résorber ou à compenser selon la densité humaine des communes. Le cas des transports scolaires ou publics peut être une solution équitable et un moyen de compenser la perte d’une institution ou d’un service dans un village (fermeture d’une école, d’un bureau administratif, etc.). Néanmoins, cela reste une inégalité en termes de territoires, d’équipements des villages et d’accès des élèves à un service public. À ce propos, il n’existe pas ou peu de travaux faisant état de la pénibilité des déplacements et des effets que ceux-ci peuvent engendrer sur les résultats scolaires des élèves. Force est de constater que des territoires deviennent moins accessibles et attractifs que d’autres, faute d’équipements, de services ou de mobilité.
Il est donc prudent de garder en mémoire que la fermeture d’une école fait peser des contraintes sur les familles selon le lieu d’où elles proviennent. Ajoutons à cela que les mécanismes de fusion des communes et de concentration des élèves dans un établissement scolaire modifient immanquablement la composition des territoires, et entraînent une tendance des populations à migrer vers des lieux attractifs en termes d’emploi, mais également en termes d’offre scolaire. L’exode de la population d’un village est un phénomène insidieux à long terme, pouvant devenir dramatique pour le développement d’un territoire.
Le maintien d’une école de village a donc une incidence positive sur les liens avec la communauté locale (contact, vie sociale, etc.). Ces résultats rejoignent les travaux de Jean (2007) sur la question vive du rapport entre école et aménagement du territoire. Il montre le rôle majeur de l’école dans l’organisation territoriale tout en dressant un diagnostic de l’école rurale et de son impact sur l’acte pédagogique. Quant aux travaux d’Alpe (2012), cet auteur s’interroge sur la stigmatisation des territoires par les politiques publiques d’éducation et des effets sur les acteurs scolaires. Il montre que « l’école rurale, structure éducative de proximité, élément de la construction du lien social et de l’identité citoyenne, est à même de répondre à des questions brûlantes de nos sociétés » (p. 227).
TYPE D’ÉCOLE, TYPE DE CLASSE
On distingue en principe l’école de campagne (ou l’école rurale et/ou de montagne) de l’école de ville. La première est caractérisée par des classes plus petites avec des formes spécifiques de regroupement des élèves comme par exemple la classe à degrés multiples. L’environnement dans lequel se situe l’école a un impact autant sur la façon de structurer l’enseignement-apprentissage que sur la façon de créer un climat d’interactions avec la communauté locale.
Dans les classes à degrés multiples, le corps enseignant se réfère à la durée du cycle pluriannuel pour gérer et organiser l’enseignement et l’apprentissage. Il initie des démarches avec la communauté locale et saisit les avantages de l’environnement extérieur pour enseigner et faire apprendre. À cet égard, ces écoles de proximité, localisées dans des espaces verts, peuvent être considérées comme des systèmes ouverts sur la vie du village et sur l’environnement.
En harmonie avec le territoire dans lequel elles se situent, ces petites écoles composées d’une ou de plusieurs classes à degrés multiples (voire une classe unique) sont intégrées comme entités sociales dans les communes. Elles sont, à ce titre, en phase avec les évolutions et les préoccupations des politiques fondées sur le développement durable et sur le maintien du principe d’équité territoriale.
EFFECTIFS DES CLASSES
Les transports d’élèves se sont accrus en raison des fusions des écoles en cercles scolaires et des normes cantonales en matière d’effectifs. Ces normes peuvent fluctuer en fonction du canton, du degré scolaire et du type d’école. L’enquête 2017/2018 de la CDIP sur le nombre d’élèves par classe montre que les effectifs maximaux se situent entre 23 et 25 élèves par classe en moyenne pour tous les degrés scolaires en Suisse.
Plus spécifiquement, dans le degré primaire, la norme en matière d’effectifs varie d’un canton à l’autre. Par exemple, dans le canton de Berne, la norme est de 18 élèves (années 1 et 2) et de 21 élèves (années 3 à 8). Dans le canton du Jura, les normes varient en fonction de la dimension du cercle scolaire. Pour les grandes localités, la norme porte sur 19 à 25 élèves, tandis que pour de petites localités, elle se situe entre 12 et 19 élèves.
Dans le canton de Neuchâtel, la norme est de 18 élèves au cycle 1 (années 1 à 4) et de 19 élèves au cycle 2 (années 5 à 8). Les classes hétérogènes en âge ont des normes légèrement inférieures, qui peuvent également varier d’un canton à l’autre.
ATMOSPHÈRE ET TAILLE DE L’ÉTABLISSEMENT
Depuis quelques années, les mécanismes poussant à la concentration ou à la fusion des communes sur le modèle de la Nouvelle gestion publique (NGP) se répercutent à l’échelle de l’école. Principalement motivée par les dispositifs financiers, la tendance des politiques cantonales en matière institutionnelle est le regroupement de plusieurs écoles en un seul lieu ou une entité éducative de grande taille, ce qui a inévitablement un impact sur le fonctionnement de l’école et sur les différents acteurs (élèves, corps enseignant, parents, autorités). Sur cette question, l’article français intitulé « Une question de taille » (Afsa, 2014) met en lumière le fait que plus l’établissement est grand, plus les élèves socialement défavorisés ont des résultats scolaires faibles. Ces faits sont à prendre avec prudence, mais ne doivent pas être minimisés. Ils sont à mettre en parallèle avec d’autres études (Alpe & Fauguet, 2008 ; Champollion, 2005) qui montrent que sur le plan des épreuves d’évaluation standardisée, l’école rurale ou de village semble légè- rement plus performante.
Du côté des familles, la présence d’une école dans un village est considérée comme un atout et relève de l’évidence. Les parents considèrent l’environnement scolaire propice à l’éducation de leur enfant. En ce sens, ils adhèrent au maintien d’une structure scolaire de petite taille et à proximité du lieu d’habitation.
Nos résultats de recherche (Pasche Gossin, 2019) montrent que ces classes à degrés multiples sont, du point de vue du climat scolaire et des apprentissages, en phase avec les attentes des familles. Selon l’enquête réalisée auprès des familles, 98 % des parents disent apprécier la présence d’une école de petite structure, à taille humaine, proche de la nature et à proximité de leur domicile. 96 % des parents disent apprécier la qualité et la diversité des activités proposées en classe à degrés multiples. 93 % des parents considèrent le cadre de vie de qualité pour leurs enfants et les espaces aux alentours des entités scolaires comme appropriés et agréables. Les classes à degrés multiples bénéficient donc d’une image positive de la part des familles. Notons que la mobilité douce (promouvoir la marche sur le chemin de l’école) apporte de multiples bénéfices tels que la sécurité des déplacements, un rapport privilégié de l’école avec la communauté locale, une qualité des relations humaines, une limitation des transports longs, pénibles et coûteux. Le devenir d’un territoire ne peut donc s’analyser sans prendre en compte la présence des écoles. Considérées comme des services publics, les écoles de village ont également un rôle particulier à jouer, celui de créer du lien et une dynamique sociale au cœur du territoire. Ceci n’est pas surprenant et rejoint d’autres études (Bonini, 2012; Oeuvrard, 2003) qui ont montré que, pour certaines familles, le choix d’habiter ou de venir habiter dans un village s’accompagne, comme le souligne Bonini (2012), « du désir de les élever dans un environnement jugé favorable à leur épanouissement et de les scolariser dans une petite structure » (p. 169). Ceci permet de mieux comprendre les raisons pour lesquelles l’avenir d’une école occupe une place dans le rapport avec le territoire et devient un enjeu important pour le personnel enseignant, les parents, mais également pour les autorités locales et les habitant·e·s d’un village, lorsque l’institution scolaire est menacée dans sa forme existante.