2. Comment mener une évaluation pour soutenir la progression de l’apprentissage des élèves ?

Dessin

L’évaluation-soutien d’apprentissage (EsA) est considérée comme une démarche favorisant la progression des élèves. Celles-ci et ceux-ci sont placés au centre du processus visant à créer un lien étroit entre l’évaluation et les apprentissages. L’évaluation-soutien d’apprentissage, ou « assessment for learning » (Stobart, 2011), favorise l’engagement actif des élèves dans leurs apprentissages et prend ainsi la forme d’un soutien explicite au développement de leurs compétences et à l’enseignement.

Cette évaluation « pour apprendre » va au-delà du recueil d’informations sur les forces et faiblesses de l’élève : elle considère ces informations dans une perspective d’amélioration et comprend une intervention telle que l’ajustement des méthodes pédagogiques et la régulation des apprentissages. Elle peut être formalisée ou s’inscrire dans chaque activité d’enseignement-apprentissage, à travers le flux des interactions en classe.

Comme le résument Allal et Laveault (2009), « l’évaluation-soutien d’apprentissage fait partie des pratiques quotidiennes des élèves et des enseignants qui, individuellement et en interaction, recherchent, réfléchissent sur et réagissent à l’information provenant d’échanges, démonstrations et observations afin de favoriser les apprentissages en cours » (p.102)

La démarche de l’évaluation-soutien d’apprentissage s’inscrit dans la lignée de l’évaluation formative, associée depuis la fin des années 1960 à la fonction de soutien aux apprentissages et de progression de l’élève. Bloom, Hasting et Madaus (1971) ont introduit une distinction novatrice entre la fonction formative et la fonction sommative de l’évaluation. Il s’agissait de distinguer une évaluation qui renseigne sur un niveau de connaissances et compétences chez l’apprenant·e, un « bilan des acquis », d’une évaluation formative, soutenant le processus d’apprentissage et s’inscrivant davantage dans une relation d’aide. L’évaluation formative offrait ainsi des possibilités d’amélioration et de correction des processus d’apprentissage, poursuivant une logique de régulation. Depuis, différentes conceptions de l’évaluation formative ont coexisté. En 1978, Allal présente à l’Université de Genève une approche nouvelle de l’évaluation formative : cette dernière n’est plus un « simple contrôle », mais bien un processus interactif entre l’enseignant·e et chacun·e de ses élèves. L’évaluation formative peut donc prendre place, non plus à l’issue d’une phase d’enseignement, mais bien dans chaque activité d’enseignement-apprentissage. Et ce, pas uniquement de façon formelle et instrumentée.

Suivant ces préceptes, l’évaluation formative est aujourd’hui considérée « comme relevant de stratégies mises en place par l’enseignant∙e, dans le flux des interactions en classe, afin de soutenir les apprentissages des élèves » (Morrissette, 2010, p.8). Il s’agit bien d’un processus d’évaluation continue des progrès des élèves, permettant à l’enseignant∙e de modifier ou d’ajuster la situation d’apprentissage aux besoins révélés, la finalité étant l’amélioration et la réussite de chacun∙e. Ainsi, le modèle de l’évaluation formative s’est « élargi », par rapport aux concepts initialement définis par Bloom : au lieu d’être réduite à un simple instrument de vérification formel qui surviendrait uniquement à l’issue d’une séquence d’enseignement, l’évaluation formative est intégrée de manière continue dans chaque activité d’enseignement-apprentissage. Elle peut ainsi revêtir la forme de démarches non instrumentées (Allal & Mottier Lopez, 2005). « L’évaluation formative, c’est simplement le fait de prendre régulièrement le pouls des élèves au travail et de pouvoir ainsi intervenir sur le moment. En ce sens, elle s’oppose à une manière habituelle de procéder, qui ne conçoit l’intervention du pédagogue qu’en début et en fin d’apprentissage, pour définir les exigences et contrôler les résultats » (Meirieu, 1992, p.132).

Selon Andrade et Cizek (2009, cités par Morrissette, p.3), l’évaluation formative se caractérise par la collecte de données sur les apprentissages des élèves, réalisée au cours même des activités d’enseignement-apprentissage, et vise à :

  • identifier les forces et faiblesses de l’élève ;
  • aider l’élève à réfléchir à ses propres processus d’apprentissage et à guider ses démarches en vue de progresser ;
  • accroître son autonomie et sa prise de responsabilité face à ses apprentissages ;
  • orienter la planification de l’enseignement.

Deux processus peuvent être identifiés : une évaluation de la situation de chaque élève face aux apprentissages proposés ainsi qu’une intervention visant à soutenir les apprentissages, soit l’adaptation des tâches d’enseignement-apprentissage à la suite de l’interprétation de la situation des élèves, de l’évaluation en tant que telle (Morrissette, 2009a). Cette intervention peut être menée individuellement ou en groupe, même si sa fonction de soutien aux apprentissages nécessite un dispositif de différenciation pédagogique. Ces deux processus sont fréquemment menés en concomitance et peuvent revêtir différentes formes : projets et tâches complexes, tests, portfolios, questionnement oral, etc. Ainsi, cette évaluation au service de la progression des apprentissages est souvent associée à la fonction de régulation, qui renvoie à un ajustement en cours de séquence d’enseignement-apprentissage. « Au lieu d’aboutir au seul constat des acquis des élèves, le professeur peut en avoir une utilisation pédagogique : l’évaluation formative est un outil qui devrait permettre de réguler les apprentissages » (Raulin, 2017, p.70). L’enseignant∙e considère donc les informations issues de l’évaluation pour adapter son enseignement et les élèves eux-mêmes sont invités à considérer ces retours spécifiques pour améliorer leurs stratégies d’apprentissage. En ce sens, la fonction de régulation peut être considérée comme une composante essentielle de l’évaluation formative, « la façon dont les enseignants orchestrent l’apprentissage pour et avec les élèves » (Allal et Mottier Lopez, 2005, p.14).

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Citant les travaux de Black & William (1998) et le cadre de référence du MEQ (gouvernement du Québec, 2002), Deaudelin et al. (2007) relèvent que : « l’évaluation formative renvoie au processus cyclique par lequel des élèves ou leurs enseignants procèdent au recueil (prise et consignation) et au traitement (analyse et interprétation) de l’information afin de porter un jugement sur l’apprentissage. L’information recueillie peut être utilisée comme rétroaction à l’élève afin qu’elle ou il active des processus internes et autorégule ses apprentissages. L’information renseigne sur l’adéquation de l’enseignement par rapport à l’élève ; elle peut alors conduire l’enseignante ou l’enseignant à réguler sa propre action. L’évaluation formative peut être spontanée et informelle ou encore planifiée et formelle » (p.31).

Bell et Cowie (2001, cités par Morrissette, 2010) ont modélisé deux façons par lesquelles peut s’opérer la régulation des apprentissages, et donc deux types d’évaluation formative : planifiée et interactive.

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En somme, et comme l’expliquent Cardinet (1988) et Ouellette (1990), cités par Morrissette (2010, p.8) :

« l’évaluation formative est associée à « un processus souple de recherche de sens autour des difficultés qu’éprouve un élève à réaliser un projet précis, un processus interprétatif qui s’intègre aux interactions quotidiennes. Sous cette lorgnette, l’évaluation formative s’accomplit dans un processus de communication imbriqué aux activités d’enseignement-apprentissage, la rétroaction se construisant dans les interactions en classe ».

Dans le monde anglophone, les travaux de recherche dans ce domaine ont débouché sur la modélisation d’une évaluation qui permet de soutenir des apprentissages de qualité chez les élèves, intégrant à la fois les fonctions formative et sommative (Mottiez Lopez, 2021). Le modèle conceptuel « assessment for learning » (évaluation pour apprendre ou « évaluation-soutien d’apprentissage » – EsA) considère ainsi que certaines démarches d’évaluation sommative (par exemple des entretiens enseignant·e-élève sur la base d’un portfolio et du livret scolaire) peuvent également poursuivre une finalité de progression de l’élève dans ses apprentissages (Allal & Laveault, 2009, p.99). La distinction porte ici sur la manière de mener l’évaluation sommative et l’usage de son résultat : calcul arithmétique constituant un but en soi, ou indicateurs permettant l’amélioration et un apprentissage durable ? (Black & William, 1998).

La définition de l’évaluation-soutien d’apprentissage fait l’objet d’un consensus au niveau international en 2009, consensus dont Allal et Laveault (2009) se font les porte-parole pour la recherche francophone. « L’évaluation-soutien d’apprentissage est un processus d’identification des aspects pertinents de l’apprentissage au fur et à mesure de son développement, à travers tous les moyens informels et formels qui peuvent faciliter cette identification, dans le but de promouvoir l’apprentissage lui-même. » (Allal & Laveault, 2009, p.102)

L’EsA peut se déployer à travers plusieurs instruments ou stratégies, la démarche étant moins liée au format de l’activité qu’à la régulation qui en découle, aux interventions et ajustements permettant la progression de l’élève, tels :

  • l’autoévaluation ou l’évaluation par les pairs,
  • l’analyse des productions des élèves,
  • le journal de bord,
  • le questionnement,
  • le dialogue avec les élèves,
  • les observations,
  • le portfolio,
  • etc.

L’évaluation-soutien d’apprentissage prend donc en compte toute information renseignant sur la progression de l’élève. Celle-ci provient des élèves eux-mêmes, mais également de leurs pairs et des enseignant∙e·s. Elle est perçue à travers toute situation d’enseignement-apprentissage. Comme pour l’évaluation formative, l’EsA s’ancre dans les interactions au sein de la classe, en temps réel, dans les activités scolaires « habituelles ». Cependant, si l’EsA s’effectue en grande partie dans le « quotidien » de la classe, elle peut également prendre la forme d’une évaluation plus formalisée, si celle-ci permet les régulations pertinentes. Cette évaluation « pour apprendre » est ainsi centrée sur la progression et le soutien à l’apprentissage, a contrario d’une évaluation à interprétation normative, centrée sur la maîtrise et les acquis. « Ce qui caractérise l’EsA n’est pas à rechercher dans le format, ni dans les circonstances de la prise d’information sur l’apprentissage de l’élève, mais plutôt dans l’effet positif qu’elle engendre pour l’apprenant. Lorsqu’elle est bien intégrée dans des contextes d’enseignement/apprentissage, l’Esa prépare l’élève à un apprentissage large tout au long de la vie » (Allal & Laveault, 2009, p.102).

La question de la régulation occupe logiquement une place importante dans la conception de l’EsA. L’évaluation est associée aux ajustements des activités d’apprentissage et des processus cognitifs permettant l’atteinte des objectifs définis. L’autorégulation est également envisagée comme réel soutien à la progression des élèves, les engageant à être davantage « actrices et acteurs », puisque capables de se situer et d’exercer un contrôle plus important sur leurs apprentissages. Boud (2000) a développé un modèle théorique dans lequel il décrit l’implication active des élèves eux-mêmes dans le processus évaluatif, à travers l’autoévaluation et l’autorégulation délibérée. Ce modèle d’évaluation durable (sustainable assessment) reprend toutes les fonctions évaluatives au service de la progression des élèves dans leurs apprentissages. Pour apprendre de façon durable, tout au long de la vie, les élèves sont amené·e·s à développer des compétences métacognitives en matière d’évaluation (Mottier Lopez, 2021).

C’est dans cette perspective d’un apprentissage durable que Mottiez Lopez et Girardet ont développé l’ECPA : l’évaluation continue pour apprendre durablement. L’évaluation y est ainsi pensée comme une activité polysituée, au service d’apprentissages de qualité et durables et dans laquelle les élèves jouent un rôle actif. Cette notion est ainsi associée à l’évaluation « au service des apprentissages ». « Dans une perspective inclusive [l’ECPA] a pour finalité de permettre à tous les élèves, quels que soient leur profil scolaire et social, d’apprendre le mieux possible et de se développer en tant que personne (incluant des compétences transversales) à long terme » (Mottier Lopez, 2021, p.12).

Dans l’exemple suivant, les élèves résolvent un problème mathématique, l’objectif d’apprentissage étant la maîtrise des opérations d’addition et de soustraction :

  • Étape 1 : Les élèves résolvent le problème individuellement. La différenciation pédagogique est de mise : plusieurs supports variés leur sont proposés, comme, au besoin, le recours au matériel permettant la manipulation.
  • Étape 2 : Une fois le problème résolu, les élèves s’auto-évaluent : ils vérifient leur raisonnement et leur réponse, réfléchissent à leur démarche, questionnent leur calcul : « Est-ce la bonne opération ? » Ils peuvent éventuellement consulter leurs références, discuter de leur réponse avec un·e camarade.
  • Étape 3 : L’enseignant∙e fournit à l’élève un retour spécifique. Il l’aide à expliciter sa démarche, à trouver son erreur et le guide vers une meilleure compréhension en variant et ajustant sa pratique à ses besoins.
  • Étape 4 : Les élèves se basent sur les commentaires de l’enseignant∙e pour réviser leur réponse. Ils peuvent demander un conseil ou une explication supplémentaire à leurs camarades.
  • Étape 5 : L’enseignant∙e donne un problème similaire pour évaluer la progression de chacun·e.

Dans l’exemple ci-dessus, l’enseignant∙e déploie des pratiques flexibles, recourt à la différenciation pédagogique, en fonction des besoins de ses élèves. Son évaluation favorise l’apprentissage actif, la réflexion. Les erreurs sont considérées comme des opportunités pour progresser, la « culture » de l’apprentissage instaurée est favorable à l’amélioration et au développement de compétences.

Plus globalement, s’inscrire dans cette « culture » au service de la progression et instaurer une évaluation-soutien d’apprentissage impliquent de suivre les indications suivantes :

tableau 4
tableau 5

En résumé, l’évaluation-soutien d’apprentissage s’opère à travers des instruments formels et informels et s’articule en continu, dans les interactions et le « quotidien » de la classe, ou lors de moments plus spécifiques. Toute situation d’enseignement-apprentissage est source d’informations sur les forces et faiblesses de l’élève mais peut également déboucher sur des ajustements, une régulation de l’enseignement permettant de soutenir l’apprentissage. La rétroaction pertinente fournie à l’élève lui permet de se situer et d’entrevoir comment progresser au mieux.

En ce sens, la nouvelle modélisation conceptuelle d’évaluation-soutien d’apprentissage « dynamise » le concept d’évaluation formative : elle va plus loin, en mettant l’accent sur l’engagement actif de l’élève dans son parcours éducatif. Grâce à l’identification et la considération par l’apprenant·e de toute information l’éclairant sur ses apprentissages, elle soutient activement sa progression. Enfin, l’évaluation-soutien d’apprentissage élargit le champ des pratiques : elle inclut toutes les formes d’évaluation, y compris certaines démarches d’évaluation sommative, lorsque celles-ci poursuivent une finalité de progression et de contribution directe à un apprentissage de qualité chez les élèves.