Introduction
Il est de coutume de dire que l’évaluation joue un rôle essentiel dans la façon dont les élèves apprennent et dans la façon dont les enseignant·e·s enseignent. L’évaluation-soutien d’apprentissage vise à aider les élèves à mieux apprendre. Elle ambitionne de faire progresser les élèves dans les apprentissages et de reconnaître leurs acquis. C’est peut-être déjà une façon de percevoir les nuances de l’évaluation qui colorent les pratiques et imprègnent les esprits.
Historiser ce qui est en jeu dans l’évaluation
Évaluer est une dimension du triptyque « apprendre, enseigner, évaluer », d’où l’importance d’y porter son attention. Associée chez les enseignant·e·s à une expérience professionnelle parfois gratifiante, mais aussi anxiogène ou douloureuse en raison des effets antinomiques que certaines pratiques d’évaluation induisent sur les élèves : encouragements/découragements, réussite/échec, justice/injustice, courage/peur, joie/chagrin, etc., l’évaluation semble liée à des pratiques distinctes faisant partie de l’histoire de l’école.
D’un côté, on y trouve des pratiques normatives s’inscrivant dans une conception élitiste, dont les places attribuées aux élèves n’en sont pas moins le produit d’un classement et d’une hiérarchisation, sous couvert d’un culte de la performance et d’une égalité sous condition du maintien d’un ordre social établi. Cette première orientation de l’évaluation à l’école est largement fondée sur la mesure, laquelle repose principalement sur le mérite individuel, validé par des résultats scolaires sous la forme de notes ou d’appréciations qui guident les décisions futures en matière d’orientation et de sélection.
D’un autre côté, on y voit des pratiques d’évaluation critériée, davantage orientées vers une évaluation-soutien d’apprentissage, oeuvrant à une égalité des acquis de base dans une visée de justice corrective. Cette deuxième orientation au service des apprentissages vise à réduire les inégalités, en prenant en compte les différences de rythmes d’apprentissage dans un cycle. Il n’est nullement déraisonnable de penser que l’évaluation-soutien d’apprentissage soit l’une des finalités les plus importantes de l’évaluation scolaire du XXIe siècle.
Penser l’évaluation dans une perspective égalitaire et équitable
Bien que l’égalité à l’école semble aller de soi, il reste encore beaucoup de travail à faire pour garantir des pratiques d’évaluation contribuant à la construction d’une vision égalitaire et émancipatrice. Le parti retenu ici est celui d’aborder les questions liées aux pratiques d’évaluation en les situant dans la conception d’évaluation-soutien d’apprentissage, mettant l’accent sur les mécanismes sous-jacents de l’évaluation et sur la manière dont ils peuvent être transformés pour créer un cadre plus équitable. C’est ainsi que l’ouvrage se saisit de la notion d’évaluation-soutien d’apprentissage, cherchant à dépasser les paradigmes traditionnels d’évaluation reposant sur la mesure pour ériger un processus d’évaluation plus égalitaire et équitable.
Ce choix illustre à l’envi les paradoxes et les tensions qui subsistent dans ce domaine de l’évaluation où l’objectif d’une égalité des acquis de base semble pourtant consensuel. L’égalité des acquis de base consiste à garantir aux élèves la maîtrise d’un socle commun au regard des compétences définies dans le référentiel, sans pour autant limiter l’expression des aptitudes et des capacités. Ce qui nous intéresse dans cet ouvrage, ce sont les pratiques d’évaluation qui tendent à valoriser les progrès de l’élève, plutôt que celles qui s’évertuent à repérer les manques ; ce sont les pratiques d’évaluation qui visent à effectuer des bilans d’apprentissage qualitatifs plutôt que quantitatifs ; ce sont les pratiques d’évaluation qui s’inscrivent dans un processus de communication/négociation plutôt que celles qui se muent dans le silence et le manque de transparence ; enfin, ce sont les pratiques d’évaluation qui impliquent les élèves dans les démarches d’évaluation plutôt que celles qui relèvent de la seule autorité de l’enseignant·e.
Conceptualiser les pratiques d’évaluation
Tous les systèmes scolaires prévoient, quel que soit le cycle, des pratiques d’évaluation qui sont à même de soutenir les apprentissages des élèves à des fins de progression et qui font le point sur ce que chaque personne maîtrise en regard des objectifs prioritaires visés par le référentiel. Il convient donc de s’assurer que ces pratiques et les déclinaisons qui en découlent sont mises en oeuvre, sans pour autant s’évertuer à les classer selon un ordre d’importance ou de préférence. Dans cet ouvrage, il s’agit à la fois de clarifier certaines notions théoriques, de présenter quelques résultats issus de la recherche sur l’évaluation, mais également de proposer des outils, à titre illustratif, pour oeuvrer à une évaluation-soutien d’apprentissage. Apprendre exige du temps et des encouragements à chaque étape du processus.
L’évaluation-soutien d’apprentissage a pour but : de valoriser les efforts ; d’encourager chaque élève à progresser par rapport à soi-même ; de recueillir des traces d’apprentissage significatives en faveur de la mise en place de dispositifs d’aide personnalisée ; d’offrir un retour réflexif sur les productions réalisées ; de communiquer sur les buts à atteindre ; de permettre à chaque élève de donner son avis sur ses productions et, en dernier lieu ; de faire des bilans d’apprentissage. Faire le point sur ce que chaque élève a appris n’exige ni de classer les élèves selon un ordre de performance, ni d’attendre le même niveau d’expertise pour toutes et tous. Ce qui prime, c’est l’accompagnement des progrès de chaque personne, sans tenter d’égaliser les réussites dans un temps imparti. Pour atteindre ou dépasser les acquis de base, les élèves évoluent dans un cycle d’apprentissage de quatre ans.
Contribuer au développement des compétences de l’agir évaluatif
Il ne suffit pas de maîtriser des savoirs à enseigner pour savoir évaluer. L’acte d’évaluer est une activité professionnelle complexe, requérant des connaissances et des compétences en sciences de l’éducation, en pédagogie, en sciences humaines et sociales, en didactique. Cet ouvrage participe à une réflexion sur les compétences à développer et à mettre en oeuvre pour évaluer en classe, tout en donnant à voir la réalité de la profession enseignante. En ce sens, cet ouvrage est un levier, parmi d’autres, pour accompagner le corps estudiantin en formation à l’enseignement dans la mise en oeuvre de pratiques évaluatives plus équitables. Il pourrait également se placer à l’origine de quelques réflexions ou changements effectifs de pratiques auprès du personnel enseignant.
Viser le développement des compétences de l’agir évaluatif des étudiant·es et des enseignant·e·s est donc un angle que nous privilégions dans cet ouvrage, avec le souci d’apporter non seulement des connaissances, mais également des réflexions sur l’agir en situation et sur les pratiques en matière d’évaluation. Plusieurs défis peuvent être mentionnés lorsqu’il est question d’interroger ses propres pratiques évaluatives à la lumière de l’évaluation-soutien à l’apprentissage. En premier lieu, il peut être utile de se rappeler ce que signifie évaluer et ce qui caractérise l’acte évaluatif, sans pour autant désavouer ses propres pratiques ou valeurs. Un autre défi est de faire bon usage des pratiques d’évaluation décrites dans l’ouvrage, sans s’y sentir enfermé·e. En dernier lieu, il s’agit de surmonter les dilemmes en évaluation, sans pour autant renoncer à innover en classe.